Pari-pari nō Tīpaeruì

E mouà tei nià o Mārau,
E tahua tei raro o Tutu-a-Pare
O Tīpaeruì te vāhiraa o te ava
O Toàtai te àmaharaa o te ôpape
O Aèho ùra te arii e tamau i te ùra
I topahia ai te iòa o te auvaha faa e o Aèho ùra.

E vai iti taì navenave o Vaititārava,
Tāvairaa i te àiu fanau âpī,
E faa iti haumārū o Taupō
Ua rau te huru te òto o te manu
Pinaì na uta, pinaì na tai
Mau aè i te ava i Tīpaeruì.

Tei Tauùpu te tupuraa
Te parau o nā maehaa
Ua moè hoì nā metua,
O Puhi te metua faatavai
E piri teie no toù âià.

Tei uta tei te faa rahi
Te tīpaeraa a te Mamaia
Te fēî, te ufi, te māpura e te àva
O ta rātou i vaiiho mai.
E vahi tauraa a to te pō
I piihia ai i mutaa ra e o Taupō.

(Recueilli auprès de Matarau Teamotuàitau, Vaetua Teriiama, Bruno Léon).

Introduction

La rivière Tīpaeruì prend naissance sur la bordure externe de la caldeira de Tahiti, dans les brumes du mont Tuhi. Depuis sa naissance, elle a creusé une vallée étroite, aux flancs extrêmement escarpés, qui s’évase en arrivant dans la plaine littorale puis se resserre en aval.

Jusque vers 1960, l’eau y coulait en surface jusqu’à son embouchure durant la majeure partie de l’année. Aujourd’hui, elle est visible en permanence uniquement dans la haute vallée. Elle émerge dans la zone modifiée par l’homme seulement lors des épisodes pluvieux.

« Tīpae-ruì, vahi tipaeraa a te ratere i te ruì » peut être traduit par le « lieu où les voyageurs débarquent de nuit ». Autrefois, il fallait demander au chef du lieu la permission d’entrer dans la plupart des passes.

« Les pirogues qui arrivaient de nuit à Papeete avaient la possibilité d’emprunter la passe de Tīpaeruì, sous réserve de faire les cadeaux nécessaires et coutumiers. Cette passe jouissait donc d’un privilège de nuit, identique à celui dont bénéficiaient les passes de Taunoa, à Teporionuu et à Vaiari. »¹

La vallée de Tīpaeruì faisait partie autrefois du mataèinaa de Faaa qui s’étendait jusqu’à Paòfaì. Cette limite a été modifiée en 1890 afin d’inclure dans la commune de Papeete, nouvellement créée, le cimetière de l’Uranie où était érigée, en mémoire des soldats français de la guerre franco-tahitienne de 1844-1847, la stèle de l’Uranie et les premières tombes européennes datant de 1855.

Tīpaeruì est aujourd’hui un foyer culturel et intellectuel de Tahiti avec la concentration de centres et d’organismes tels que la maison de la culture « Te Fare Tauhiti Nui », l’espace Toàta, le conservatoire artistique, la Société des études océaniennes (SEO), le service du patrimoine archivistique et audiovisuel, un collège, un lycée et trois écoles primaires et maternelle.

l’Embouchure

Te ava : La passe de Papeete a été créée par le courant d’eau douce2 des rivières de Tīpaeruì et de Vaiami. Les deux balises d’alignement pour les navires entrant dans le port de Papeete sont d’ailleurs ancrées dans le lit mineur de la rivière de Tīpaeruì.

Toàta : On peut traduire ce nom par « rocher étale » car, d’où que viennent les courants et les houles, la mer est toujours étale sur ce grand pâté corallien. Il garde l’entrée ouest de la passe. Les pirogues y effectuaient le demi-tour lors des courses de vitesse des fêtes du Tiurai puis du Heiva.

Il a donné son nom au Tahua Toàta, la place où se déroulent aujourd’hui les grands spectacles (Heiva, chanteurs internationaux, etc.), rappelant ainsi l’échange, le partage et l’ouverture à l’autre.

Faahee tino : L’ancêtre du bodysurf. Lorsque le toèrau souffle et que la houle du nord se lève, de petites vagues se forment à l’embouchure. C’était le lieu de prédilection des enfants qui passaient des journées entières à glisser sur ces petites vagues. La baignade y est aujourd’hui interdite en raison des rejets toxiques en tout genre déversés en amont. Mais il est difficile de résister à l’appel de la mer.

photo de Toàtā

Tahatai : Construite à partir des galets et du sable de la rivière, la plage de sable et de galets noirs s’étendait autrefois jusqu’à Paòfaì. Ensevelie sous les multiples remblais, elle est aujourd’hui réduite à quelques mètres à droite de son embouchure. Bien qu’elle tente de se reconstruire chaque année, elle est impitoyablement détruite et son sable est extrait pour alimenter le gourmand secteur du BTP.

Ào : À l’embouchure un ficus sur lequel niche un couple de hérons striés. Debout, à l’affût sur les branches, ces hérons pêchent les petits poissons et les crustacés de la rivière. Cette espèce d’oiseau est protégée. Elle est « en danger critique d’extinction » sur la liste rouge 2015 de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en France et en Polynésie française.

Près de l’embouchure de la rivière Tīpaeruì sont implantés des lieux de culture et d’éducation : Te Fare Tauhiti Nui, la maison de la culture, Te Tahua Toàta, et les jardins de Paòfaì. Ces lieux sont très fréquentés dans la journée par les classes des écoles primaires et secondaires et après 17 heures par les sportifs et les familles.

Les sportifs fréquentent le stade Willy-Bambridge, la salle Maco-Nena, du nom de l’ancien champion de boxe natif du quartier de Tīpaeruì, et, en aval, la piscine municipale Te Vaianu. L’école primaire de Toàta, quant à elle, accueille 450 enfants.

Mont Marau : Lorsque le temps le permet, on peut voir depuis le pont le mont Marau, point culminant de Tīpaeruì, où est installée la parabole du service de l’Aviation civile. C’est dans ces crêtes souvent voilées de brume que les eaux de pluie s’assemblent et forment la source de la rivière.

Puhi : Près de la berge gauche3 en amont du pont, plusieurs anguilles de l’espèce Anguilla marmorata nagent tranquillement à la recherche de petits crustacés. Elles affectionnent le courant d’eau riche en nutriments provenant du ruisseau affluent.

Vaititārava : Petit bassin d’eau fraîche et limpide, autrefois réservé au premier bain des nouveau-nés, signe de la propreté de l’eau à l’époque pré-européenne. Au XIXe siècle et au début du XXe, c’est là que les personnes, venant à pied des districts de la côte ouest de Tahiti, se lavaient et revêtaient leurs beaux habits avant d’entrer dans la ville de Papeete. Vai--tārava, « le bain où se penche la cordyline (/àutī) », ou Vai-iti-tārava, « l’eau au chant polyphonique », n’existe plus aujourd’hui, mais l’eau y coule encore lorsqu’il pleut.

La Zone d’Habitation

Dans cette zone, la rivière a été plaquée contre son flanc droit et canalisée afin de laisser place aux habitations.  Enserrée dans un étroit carcan de béton, elle est forcée à suivre un tracé rectiligne qui accélère son flot et concentre sa force. Les gros cailloux fracassent le fond du canal et font ressortir le ferraillage à la verticale. Les débris s’y entassent créant ainsi un risque de barrage. En période de grosses pluies, il arrive que la rivière déborde et inonde les habitations qui la longent.

C’est dans cette zone que le cœur de Tīpaeruì bat. Environ 3 500 personnes y demeurent. Bien que les parcelles soient petites, les arbres fruitiers sont soigneusement entretenus et produisent à profusion dans ce riche terroir alluvionnaire.

Les enfants du quartier fréquentent l’école maternelle Uì Tama et l’école primaire Pinaì. Quatre confessions religieuses — protestants, catholiques, mormons et adventistes — s’y côtoient et célèbrent leurs cultes dans leurs édifices religieux respectifs.

Te Fare Ùpa Rau : Le conservatoire artistique de Tahiti. Plus de deux mille élèves viennent y suivre des cours d’arts classiques et traditionnels.

Ôfaì tāùtu: Dans la rivière, à la hauteur du lycée Paul-Gauguin, se trouvaient trois grandes pierres plates où se pratiquait la circoncision des adolescents de Tīpaeruì et des pensionnaires du lycée. John Doom, qui était pensionnaire à l’école centrale (l’actuel lycée Paul-Gauguin), où Jacques Denis Drollet était surveillant de pension, raconte : « Nous commencions à devenir des jeunes gens. Jacques Denis Drollet proposa à tous ceux qui voulaient se faire circoncire de se rendre à la rivière Tīpaeruì, qui avait beaucoup d’eau à l’époque. C’est lui qui supervisait l’opération avec un spécialiste, qui pratiquait cette coupure à la manière tahitienne avec un bambou ou une noix de coco bien aiguisée. Il donna les consignes pour que tout se passe bien et veilla à ce que tous ceux qui avaient été circoncis guérissent correctement. »4

Plus en amont, c’est Momo, l’officiant, qui y pratiquait le même rite de passage à l’âge adulte pour les adolescents du quartier Teìva. « L’opération avait lieu sur les grandes pierres plates sur lesquelles les mamans savonnaient et battaient le linge pour le laver. Chacun de nous avait soigneusement taillé et poncé son àutā, une lame de rasoir pour l’opération, et un morceau de tronc de bananier, que l’on tord pour en extraire le jus qui stoppe le saignement », se souvient Raphaël Coulon5.

Te Piha Faufaa Tupuna : Le service du patrimoine archivistique et audiovisuel de la Polynésie française accueille les personnes qui mènent des recherches généalogiques et historiques. La Société des études océaniennes y a son siège et sa bibliothèque.

Te ôfaì o nā maehaa : Route des archives, dans le lit de la Tauùpu, se trouvait une grande pierre plate gravée de deux figures humaines dos à dos, te ôfaì o nā maehaa, « la pierre aux jumeaux ». Tau-ùpu signifie la période des invocations, en lien peut-être avec les jumeaux, qui auraient été conçus pendant ce moment particulier. Décrit et étudié en janvier 1925 par l’archéologue Kenneth Emory6 du Bishop Museum de Honolulu, le pétroglyphe est aujourd’hui conservé et visible dans le jardin d’Atea, au musée de Tahiti et des îles à Punaauia.

La Zone Industrielle

La zone industrielle : Le cours de la rivière a ici aussi été considérablement modifié et rétréci pour forcer l’eau à longer le bas de coteau de sa rive gauche. Tout son lit majeur a été aménagé dans les années 1970 en une zone industrielle qui héberge quelque quatre-vingts entreprises et hangars et emploie plus de deux mille ouvriers. Pendant les fortes intempéries, la rivière, contrainte de couler en ligne droite, augmente sa puissance et ronge les berges, ce qui favorise les éboulements. Il lui arrive aussi de reprendre son lit primitif et d’inonder la route de la zone industrielle et les bâtiments qui la bordent.

La Zone Des Décharges

L’usine Tamaraa Nui, qui devait traiter les déchets ménagers de l’île de Tahiti par incinération et méthanisation, a été fermée en 1994 en raison des fumées toxiques qu’elle rejetait, qui asphyxiaient et contaminaient tous les habitants de la vallée de Tīpaeruì. Les cendres hautement toxiques, déposées sur la décharge continuent à s’infiltrer dans la rivière et à se déposer sur le fond du lagon de Papeete. Ici, ordures ménagères, vidanges, huiles usées, déchets hospitaliers, déchets anatomiques, tous les déchets de Tahiti ont été accumulés et compactés dans les années 1970-1994. Depuis la fermeture du site, les déchets ne sont recouverts que d’un simple remblai où se sont maintenant installées des entreprises. Ce site n’a toujours pas été dépollué, décontaminé. Les carcasses de voitures s’y entassent. Une réhabilitation de la zone des décharges est nécessaire.

La Haute Vallée

Peu anthropisée, la haute vallée est un havre de paix et de fraîcheur.

Réservoirs d’eau potable : L’eau de la rivière recueillie dans des galeries drainantes souterraines est stockée dans les bassins pour alimenter la zone industrielle de Tīpaeruì.

Vous pouvez garer votre voiture dans le parking situé juste après le pont.

Bain : Après quelques minutes de marche, vous atteindrez le bain libre d’accès à tous. Les enfants de Tipaeruì aiment s’y baigner, plonger depuis le surplomb rocheux et déguster, de décembre à mars, les fruits juteux des àhià reà qui y abondent.

Après le bain du radier, on entre dans un beau verger d’arbres fruitiers plantés et entretenus par l’association Tīpaeruì Valley.

Randonnée dans la haute vallée7: Avant de vous y aventurer, respectez les recommandations. Bien que le parcours soit facile, il faut être conscient que les risques d’éboulement existent, comme dans toutes les vallées aux flancs escarpés de l’île de Tahiti. Vous pouvez également prévenir un permanent de l’association Tīpaerui Valley à l’aller et au retour.

Le sentier qui longe la rivière est ombragé par de grands arbres sous lesquels poussent mousses, fougères et petites plantes médicinales indigènes. On récoltait autrefois les fēî dans les petits vallons appelés peho fēî de Tāfifi, Tepū et de Taetae8.

Taofe : On y avait planté du café et, à la saison de la cueillette, les familles y campaient pour récolter et « déparcher » ces cerises rouges.

Les vacances scolaires coïncidaient alors avec la récolte afin que les enfants puissent suivre leurs parents et les aider à la cueillette. « Nous dormions dans des abris en feuilles et fougères parfumées. Le bruissement de la rivière, l’odeur de la mousse et de la terre : c’était la grande communion avec la nature. »9

Espèces envahissantes : Les travaux d’aménagement des galeries souterraines effectués dans les années 2000 ont toutefois modifié le paysage et favorisé l’arrivée des espèces invasives comme le tulipier du Gabon et le Miconia calvescens. N’hésitez pas à déraciner les jeunes plants de miconia que vous rencontrez et à les suspendre, racines à l’air, afin que celles-ci sèchent.

Ià o te vai : La rivière abrite des petits poissons comme les ôopu, des petits crustacés comme les ôura pape, des anguilles et quelques nato. On se demande comment les alevins de ces animaux, qui naissent en plein océan, arrivent à remonter la rivière bien que le lit soit à sec dans son cours inférieur pendant une grande partie de l’année.

Manu o te faa : Si l’on est silencieux et attentif, il est possible d’entendre des sifflements d’oiseaux et des bruissements d’ailes. L’avifaune de la vallée comporte une dizaine d‘espèces d’oiseaux indigènes et toutes les espèces communes d’oiseaux introduits.

Mamaia : Vestiges de paepae, plateformes d’habitation, terrasses de culture humide et ciste funéraire témoignent de la présence humaine ancienne. La haute vallée fut notamment habitée par les Mamaia10 pendant la première moitié du XIXe siècle.

Vaitià : Le sentier mène à un embranchement. Sur la droite, le vallon Faaiti conduit à une cascade du même nom que l’on atteint après un quart d’heure de marche. Sur la gauche, la vallée Faarahi se termine par une grande cascade de quarante mètres de hauteur. Au pied de la cascade pousse du âpura, une espèce de taro dont les jeunes feuilles donnent le meilleur fāfā ou épinard local.

Taupō : L’ancien nom de Tīpaeruì est Taupō, « vahi tauraa a tō te pō », l’endroit où se posent les êtres du Pō. Cette fonction de lieu de regroupement est liée au mont Marau où les esprits se rassemblent avant d’entamer leur voyage vers le Pō11.

On retrouve le toponyme de Taupō en Nouvelle-Zélande où il désigne un lac qui s’est formé dans la caldeira d’un volcan et celui de Kaupō sur la côte sud de l’île de Maui dans l’archipel hawaiien. On peut se demander ce que ces trois lieux ont en commun pour que nos ancêtres leur aient attribué le même nom.

Pehepehe nō Tīpaeruì

E hōmā e, mātou teie, te mau taureàreà
Nō Tīpaeruì, te himene noa nei,
I te mau pō atoà, i te hiti poromu
Io Pepetai àue, te vahi mātauhia.

(Composé par les taureàreà de Tīpaeruì)

Notes

1 V.BODIN, « La langue et la société », Editions Ùra, p 218

2 Les récifs coralliens ne tolèrent pas l’eau de salinité inférieure à 27% et de température inférieure à 22°C.

3 Sur un cours d’eau, la rive gauche est située à la gauche d’un observateur lorsque celui-ci se place au milieu du lit de la rivière, tourne le dos à l’amont et regarde vers l’aval.

4 John Tāroanui DOOM, « Mémoires d’une vie partagée », Editions Haere Po, p. 23.

5 Raphaël COULON, communication personnelle.

6 Kenneth EMORY, « The petroglyph boulder at Tīpaeruì », BSEO n°11, p. 10-15.

8 Les petits vallons de Tafifi (n°45 Tomite Faaa 1852), Tepu (touche Tuituioporo n°93 TF 1852), Taetae (n°43 TF 1852)

9 Louise CARLSON, communication personnelle.

10 Mark EDDOWES, « Papatumu », BSEO 2009, n°317 p 45 -86.

11 Eliane TEVAHITUA, « Symbolique et place de la montagne dans les rites funéraires Fa’a’a et ses deux montagnes : MĀRAU et TATAA ». Colloque Afarep du 23 octobre 2009