Malgré mes études supérieures scientifiques, j’ai toujours su au fond de moi, que la Terre est vivante et qu’elle nous donne de l’amour de manière inconditionnelle. Mon côté cartésien et logique n’expliquait pas ce ressenti antagoniste et pourtant si constitutif de mon âme et de ma personne.

Autant vous gracier des moments de doutes qui m’habitaient alors… jusque l’année 2005, une personne formidable m’a éveillée à mon mana, notre mana maòhi, le mana polynésien de la Terre. Nos ressentis ancestraux ont été tellement annihilés par notre formatage sociétal occidental multi-générationnel qui efface tout, homogénéise les gens par la mondialisation et aseptise notre peuple.

Comme beaucoup d’autres personnes actuellement, j’avais très peur autrefois de ce que je voyais, entendais ou ressentais du monde invisible à nos yeux physiques. Distinguer ces êtres référencés nulle-part dans nos standards de société, donc inconnus, me faisaient peur. Depuis une douzaine d’années, cette perception reçue de mon éducation occidentale a évolué pour laisser plus de place à l’expression de mon mana et à ma capacité à percevoir la nature, aptitude héritée de mes ancêtres.

Par mon ascendance, ma filiation à ma mama ruàu o Teui a manu Terarii, j’ai eu l’immense honneur de recevoir en héritage cet amour de la Terre et de l’Eau. Mon arrière-grand-mère m’a enseignée l’amour des sources et des êtres qui y vivent. Ma famille a l’immense privilège d’appartenir à des terres sur lesquelles bouillonnent encore quelques sources qui donnent naissance à des réseaux entrelacés d’eau superficielle qui s’écoulent, s’infiltrent jusqu’à trouver son chemin vers la mer. Ainsi mon arrière-grand-mère m’a enseignée la perception des tapaò, la technique pour apprivoiser les anguilles, comment retrouver des équilibres subtils de ce monde « invisible ».

Dans notre société capitaliste, où posséder une maison ou une terre équivaut à un signe ostentatoire de richesse, nous remblayons à tour de bras des sources magnifiques et des zones humides qui petit à petit disparaissent de nos horizons urbains. Et avec elles, disparaissent des espaces et des espèces, la diversité des plantes et des animaux, richesse patrimoniale identitaire de notre patrimoine et donc une partie de nous, pour laisser la place à des signes de richesses « modernes ». Nous avons perdu de vue cette richesse fondamentale de la simplicité que nous offre abondamment la Nature (qui fait si bien les choses).

Mon côté cartésien définit ainsi la rivière : elle est, scientifiquement, l’exutoire de toutes les eaux qui ruissellent dans un bassin versant (ou vallée). Mécaniquement, lorsqu’une goutte d’eau tombe dans une vallée, elle va soit s’infiltrer dans la Terre, soit ruisseler en surface pour rejoindre une rivière et arriver sa destination finale : la mer. C’est une partie du cycle de l’eau.

L’eau surgit des sources tourbillonne, s’écoule, court, glisse et finalement se repose un peu avec un débit plus long à l’approche des embouchures.

L’eau de nos rivières apporte la Vie et créé le lien de la crête de la montagne vers le lagon. Elle veinure nos îles et participent aux échanges Terre-Mer et Mer-Terre.

L’eau de nos rivières charrie des nutriments, des blocs rocailleux ou des cailloux, elle fait évoluer nos îles et les accompagne dans leur évolution géologique.

L’eau de nos rivières est aussi un lieu de Vie, de nombreuses espèces de poissons, crustacés, d’anguilles, d’insectes, de végétaux y vivent. Hélas, l’incivilité de la majorité d’entre nous démontre que dans l’agglomération de Papeete, notre peuple l’a oublié. Les savoirs de nos Vieux s’éteignent car nous avons perdu cette aptitude à les écouter et à voir à travers leurs yeux. Cette génération de personnes âgées dépositaires de ces savoirs ancestraux est de plus en plus réduite, l’accès à ce savoir en est d’autant plus compliqué car limité souvent à des cercles familiaux confidentiels. Lorsque les jeunes générations de ces familles ont la possibilité d’y accéder, il arrive que leur intérêt soit porté ailleurs.

Les rivières sont le lieu de Vie et de Rencontres d’êtres merveilleux, de petits êtres d’amour et de malice référencés nulle part sauf dans notre ancienne tradition orale. J’ai la chance de pouvoir les entrevoir et de ne plus trop avoir peur pour enfin commencer à discuter avec eux pour mieux faire évoluer notre façon de voir notre nature, c’est-à-dire au-delà de la vision scientifique.

L’eau de nos rivières est également un lieu de BONHEUR ! Sources, Cascades, zones de baignades ou de pêche. Nous sommes nombreux à avoir des souvenirs de bonheur familial partagés en apprenant la pêche au patia ôura, partageant de simples moments de baignade en famille ou en découvrant les couleurs si bleutées des vasques.

La Rivière, son eau, sa vallée, son écosystème, c’est aussi à titre personnel, mon retour à la nature. Mon retour à mon mana. Lorsque je me rends en rivière, j’oublie tout, je laisse tout ce qui me stresse dans le « monde moderne de la ville » pour renouer avec la simplicité de la nature généreuse de nos îles. Mes perceptions de la nature sont alors décuplées pour voir géants, gardiens, êtres reptiliens, petits elfes ou animaux merveilleux qui viennent à ma rencontre pour m’émerveiller de cette beauté perceptible par peu. Son eau, surtout celles qui jaillissent des cascades me nettoient et exercent sur moi une cure de soin qu’aucune médecine occidentale n’a jamais pu égaler. Car cette médecine de la nature correspond parfaitement à mes besoins énergétiques, physiologiques et psychologiques. Cette eau régénératrice et vivifiante des cascades et des sources a toujours été considérée (autant que je le sache de mes échanges avec plusieurs personnes) comme des types de médecine que j’ai essayé et que j’approuve dans mon cas personnel.

La capacité de l’eau à véhiculer les émotions et sentiments, a fait l’objet d’études du docteur Mazaru EMOTO accessibles sur internet, permettant ainsi de convaincre les sceptiques de l’aptitude de ce vecteur. Pensons bien que nos corps sont faits de plus de 50% d’eau, dans chaque cellule de nos corps, l’eau ce liquide rare et précieux, nous constitue et nous soigne depuis la nuit des temps. Les dinosaures buvaient la même eau que nous ! Gardons également en tête que dans nos îles l’hygrométrie

La perte de notre tradition orale a participé à l’oubli de nos légendes et nos histoires qui font l’essence de nos vallées. Les dieux, déesses, princesses, guerriers, gardiens, géants, animaux fantastiques, être merveilleux, nos ancêtres, nous ne savons plus les voir. Pourtant, nous appartenons à l’unité de la nature et de la Terre. Il y a tant de douceur et d’amour, de malice et de bienveillance qui les habitent que chaque moment de rencontre est source de bonheur à l’état pur.

Nos ancêtres possédaient cette vision de la Nature, ils la partageaient en la racontant. Heureusement que certains récits nous sont restés pour perpétuer et reconstituer comme nous le pouvons ce patrimoine immatériel constitutif intégralement de nos vies et qui disparaît malheureusement petit à petit.

Par égard et respect de nos ancêtres qui nous ont légué des terres magnifiques, Il nous appartient à tous, membres de notre peuple de souche et de cœur, de renouer le lien de l’Amour à la Terre pour comprendre l’unité que chacun d’entre nous, en tant qu’individu et en tant que peuple, forme avec la Terre.

Nous comprendrions alors de manière collective pourquoi la polluer équivaut à nous polluer et en quoi la respecter nous enrichira. Car oui, chacun d’entre nous est acteur de cette unité, et a donc sa part de responsabilité envers la Terre, l’Eau et les autres personnes. Echangeons, sensibilisons, écoutons la nature, écoutons-nous, et adaptons nos comportements dans la bienveillance mutuelle.

Je mesure l’infinie chance que j’ai eu de retrouver mon mana, de l’accueillir et surtout de lui permettre de s’exprimer. Cette démarche a exigé une ouverture d’esprit extraordinaire et de lutte contre mes peurs fondamentales, cette dernière est encore d’actualités. Je pense ne pas être arrivé au niveau de conscience de nos ancêtres. En cela je souhaite nourrir cette sagesse ancestrale et partager mon témoignage de manière authentique. Il m’incombe désormais de participer à la transmission de ce savoir, aussi humble soit-il, aux plus jeunes générations en s’assistant des nouvelles technologies et surtout des rencontres avec la nature et des connexions profondes qu’elle nous offre inconditionnellement… pour qu’à leur tour elles portent ce message issu de l’oralité à nos futures générations qui sauront alors écouter la Terre, faire un avec elle et perpétuer ce mode de vie ancestrale sans pareil.

A here e a faatura i te Natura, te ùmete no ta tātou ora.

Teui A Manu Tera rii hinarere