Après les évangélistes, les humanistes, les progressistes, les technocrates et autres noms en « iste », « isme », ou « logue », nos nouveaux maîtres à penser sont désormais des économistes. Crise mondiale oblige. C’est à qui élaborera ou vantera un modèle tiré d’expériences et variantes du capitalisme hoquetant ci et là mais triomphant malgré ou grâce à la paupérisation de beaucoup. En toile de fond, subissant les lubies les plus loufoques des adorateurs du Progrès et de la Sainte Économie, il y a notre seule et unique planète Terre.

En Polynésie française où l’essentiel de l’espace est océanique, nos îles endurent nos caprices et inconséquences. Dans les îles basses et coralliennes, l’eau se tapit en fragiles lentilles. Dans les îles hautes basaltiques, l’eau coule, rafraîchissante et si pure qu’elle fut chantée « diamant » : « À Tahiti où l’eau jaillit plus pure que le diamant, L’amour et la beauté couvrent l’immensité….. » chantions-nous à tue-tête quand nos instits nous emmenaient autour de l’île en trucks s’arrêtant à différentes rivières.

Les tahitiens ont toujours préféré les bains de rivière aux bains de mer au temps des cargos-mixtes transatlantiques et transpacifiques. Sans coûteux forages, elle s’offrait à tout assoiffé dans les rivières nombreuses. Au fil des millénaires, elle a creusé des toboggans conduisant à une vasque de profondeur variable, les unes calmes, d’autres à remous, bienfaisante et régénératrice. S’y pratiquait une hydro-thérapie généreuse.

L’astucieux y prélevait des chevrettes goûteuses et poissons nato raffinés. Aux embouchures, les enfants les plus maladroits calmaient une fringale en grillant un menu fretin aux fines saveurs sur des pierres astucieusement choisies. D’en ramener à la maison les élevait au rang de fiers nourriciers de la famille. À la saison des īnaa, c’est à qui en capturait pour les consommer en beignets, distribuer autour de soi ou vendre au-delà de son entourage immédiat. Des âtii du sable humide chatouillaient la plante des pieds.

Abrités dans de rustiques maisons sur pilotis, l’on vivait tels de richissimes détenteurs de piscines à jets multiples et flots bouillonnants. L’eau d’une exceptionnelle limpidité véhiculait des senteurs boisées d’origine vallée mystérieuse garantie. Ce capital naturel rendait joyeux, solidaire et accueillant, illustrant la « sobriété heureuse » chère à Pierre Rabhi.

Mais nos décideurs détestent cette joie-là, car elle les empêche de jouer aux bienfaiteurs. Comme certains missionnaires irrités de voir des Tahitiens n’éprouver aucun besoin de leurs services coupèrent les arbres à pains, nos décideurs s’acharnent depuis quelques décennies à tuer la joie des rivières. Leur démence pourrait bien conduire à priver nos enfants de cette eau sans laquelle aucune vie n’est possible. Animés de cette monomanie typique aux inventeurs de détresse sans laquelle ils ne pourraient être sauveurs, ils refusent le modèle d’adaptation au milieu inventé par les « Indigènes ».

Leurs prédécesseurs recréèrent ce qu’ils avaient fui dans leur Europe natale où ils étaient des déclassés pour, à leur tour, déclasser et exiler les populations sur place afin d’y jouer les maîtres éclairés et ériger des monuments à leur propre gloire. Çà a d’abord détruit des récifs coralliens frangeants pour construire villas, temples et églises à la mode européenne, favorisant l’explosion à terme de la ciguatera et …….de la faim. Nos politiciens s’avèrent animés de la même motivation à détruire toute joie dont ils ne seraient pas les auteurs. N’avez-vous jamais été intrigués par le contraste entre le n’importe quoi architectural public et privé et la reconstitution touristique artificielle et à grands frais d’une Polynésie condamnée partout où elle est naturelle ? Cela m’a toujours laissée perplexe. Le dernier discours programme du président peut être décodé comme une volonté de suppression de toute économie non monétaire. Et l’on s’étonnera du développement d’une économie sous-terraine délictueuse et mendiante.

Il fut un temps où les désœuvrés hantaient les cours d’eau, y puisant joie et bien-être avant de se socialiser. Aujourd’hui, sales et souffreteux, ils hantent les parkings faisant la manche, vendant gâteaux ou mangues volées, regardant passer les plus ou moins nantis les fuir du regard et hâtant le pas à leur approche. Désespérante copie conforme de celle des puissantes cités occidentales et asiatiques prises pour modèles.

Furent et sont construits des logements sociaux à salle de bain « standard » à prix normé au mètre carré et garantie…… euh, ben non, point de garantie décennale. Si çà se fendille, c’est tant pis pour les bénéficiaires de clés offertes à grands renforts médiatiques, découvrant n’être que des programmés sinistrés à visiter la veille d’élections pour être plaints. Tant pis pour celles et ceux qui n’ont plus de proche rivière où se ressourcer. Graviers, sables et roches de vasques naturelles sont devenues piscines privées et/ou hôtelières destinées à quelques privilégiés.

Quand l’alibi de la protection des berges est peu crédible, la justification brandie est l’économie monétairement mesurable. La Cour territoriale des Comptes serait bien inspirée d’auditer la circulation des liasses activées dès qu’une rivière est décrétée « à tuer ». D’autant que les véritables propriétaires des lits de rivière sont généralement floués, bluffés qu’ils sont par une « réglementation » favorisant l’arbitraire institutionnel.

Nos parents nous offraient les rivières en plus d’une douche dans une salle de bain sommaire. Nous offrons des douches plus jolies à nos enfants et parfois une piscine à fond bleu d’entretien coûteux voire même l’accès à une piscine d’hôtel à la limpidité chlorée souvent douteuse. Mais plus les rivières ! Vous avez dit « Progrès » ?

Président et le ministre de l’équipement ne proposent nullement de réhabiliter la Punaruu au lit si malmené qu’il se cimente au point d’assécher à terme la rivière sous-terraine. Leur indiffèrent la Fautauà d’accès désormais périlleux, la Tipaeruì ou la Papeava marigots putrides, etc. Détruire toujours plus la beauté du Fenua les mobilise comme une sainte croisade contre le paganisme ; tout en déclarant « nos priorités sont le tourisme, notre culture, notre mode de vie et le développement durable » ! L’injonction paradoxale est plus que jamais à l’œuvre ! Car le développement durable consiste à privilégier les ressources renouvelables et rendre très difficiles et très coûteux les ressources limitées que sont les sables, graviers et roches des rivières. Même si ce ne sont plus les mêmes qui règneront sur le marché de l’habitat.

Mais pour que nos petits-enfants puissent vivre ici, il y a urgence à cesser de fabriquer du désastre. Les récentes prestations politiques ressemblent à de gigantesques mises en scène pro-addictives, pro et pré-suicidaires. À en avoir le vertige !
Affranchissons-nous des automatismes et kits de prêt-à-penser autodestructeurs.

Iaorana

Simone GRAND